Rosa Bonheur a connu, dans la seconde moitié du XIXe siècle,
un succès si extraordinaire en France comme à l'étranger,
qu'on la considérait comme le peintre le plus célèbre de son
temps, alors que cette même époque maintenait les femmes
dans une dépendance à peu près totale et, le plus souvent, les
empêchait autant de s'exprimer que de créer. Mais Rosa Bonheur,
petit bout de femme en apparence et grande artiste dans l'âme,
sut très jeune s'affranchir des préjugés et assumer l'aventure de
sa vie, la force de sa personnalité et son émancipation.
Elle fut la première femme artiste à recevoir la Légion
d'honneur. Acharnée au travail et jalouse de son indépendance,
cette rebelle qui se forma toute seule apprit, au fil des années, à
devenir un être libre, quitte à couper ses longs cheveux, trois
quarts de siècle avant que cette mode se généralise, à s'habiller
en homme et à fumer le cigare à l'instar de George Sand.
Admirée par Delacroix, Géricault et Corot, particulièrement
appréciée de l'impératrice Eugénie, du duc de Morny, de la reine
Victoria ou de Buffalo Bill, la petite Bordelaise d'origine modeste,
qui finit châtelaine dans la forêt de Fontainebleau, sut imposer
à l'Europe cultivée la virtuosité de son style.
Saint-simonienne convaincue, adorant les animaux, cette
vestale de l'Art, qui selon sa volonté vécut et mourut vierge, n'a
cessé de peindre ces présumés inférieurs parce que, disait-elle,
«ils ignorent les passions». En leur compagnie, celle que John
Ruskin surnommait la «French Lady» a composé, à travers des
milliers de dessins, de tableaux et de sculptures aussi savants
que vivants, la grande géorgique de l'histoire de l'art occidental,
signant ainsi un poème champêtre du temps passé.