Sur le fond d’une rupture inévitable avec le pouvoir, émerge à la Renaissance et pour la première fois en Occident, la volonté d’écrire son histoire en marge de l’institution. Juxtaposant des discours variés, les mémorialistes forgent une nouvelle forme narrative qui connaîtra, de la Renaissance à nos jours, un succès constant. Premiers exemples d’histoire dissidente ou ancêtres de l’autobiographie moderne, les Mémoires ne se laissent enfermer dans aucune définition. Pur produit de la Renaissance française, cette forme émane en majorité d’hommes politiques, de chefs militaires, de grands nobles se considérant lésés, blessés par le pouvoir. Exclus de la scène politique, il ne leur reste plus que l’écriture, pratique récemment acquise par la noblesse pour se donner une tribune d’où ils raconteront leur vie. Leur récit est un plaidoyer pro domo où ils se glorifient en se lavant des accusations qui ternissaient leur portrait. Ces textes pathétiques retentissent d’un appel à la reconnaissance, ils entreprennent un combat contre l’oubli, contre l’ingratitude. De nature hybride, alliant au discours personnel un discours historique, les Mémoires ont à juste titre incités les historiens à la méfiance lorsqu’ils essayaient de séparer le bon grain du discours historique de l’ivraie du discours personnel. L’historicité des Mémoires réside non pas dans leur contenu événementiel mais dans la nouveauté de ce discours personnel subvertissant, investissant l’histoire pour se faire entendre. C’est une nouvelle lecture des Mémoires que propose ce livre, une lecture globale qui envisage ces deux discours dans un rapport de complémentarité et non d’opposition, donnant à voir l’élaboration de la notion de personne à la Renaissance dans ses démêlés avec le pouvoir et dans son souci de laisser une trace dans l’Histoire.