Il suspectait tous ceux qui, à son avis, portaient
la marque d'une infériorité ou de la perfidie
: les gauchers, ceux qui louchent, les rouquins,
les contrefaits, les Juifs, les rêveurs. Avec le temps
s'était formé dans son imagination un archétype du
mal qui réunissait toutes les tares et se trouvait doté
de pieds plats puants, de mains moites et de désirs
dégoûtants. Ce sentiment était si fort que tous ses
adversaires lui semblaient sentir mauvais. Il avait
beau avoir classifié ses ennemis, il lui manquait de
pouvoir les exterminer physiquement. Mais
comme il devint terrible le jour où sa haine impuissante
trouva un objet à sa portée et qui lui était
soumis : moi ! J'étais gaucher et rêveur. Bientôt
mes cheveux allaient lui sembler roux, il allait me
trouver tout ce qui l'arrangeait. Il m'avait vu vivre
auprès de lui pendant des années avant de comprendre
que je savais ce qui le mettait en rage. C'est
là ce qu'il voulait extirper de moi, à force de coups.
Mais jamais, même lorsqu'il me frappa le plus sauvagement,
je ne pus lui laisser ignorer que je savais.
Le lui taire eût signifié ma mort. Il m'avait aussi
appris cela. La peur est la tentation suprême.