Le Supplément du Commentaire philosophique de Pierre Bayle, paru en 1688, est certainement l'un des plus grands textes écrits sur la tolérance dans l'histoire des Temps modernes. Il constitue d'abord, par son ampleur, non une simple addition à la doctrine de la tolérance propre à Bayle, mais une totalisation de celle-ci donnée dans sa forme la plus achevée. Après deux siècles d'élaboration dans les affres des guerres de religion, le concept de tolérance se trouve ici pleinement pensé dans ses fondements philosophiques.
Or, ces fondements philosophiques de la tolérance ne s'atteignent que lorsqu'on se rend compte que la tâche principale n'est autre que de repenser le concept d'homme lui-même, ce qui exige un réexamen de la dignité, de la liberté et de la conviction qui lui sont irréductibles. Ainsi repensé, l'homme est celui qui découvre et pense l'altérité et, en retour, se découvre et se pense par rapport à elle. Le Supplément du Commentaire philosophique constitue ainsi un des moments majeurs par lesquels la raison occidentale s'ouvre à l'altérité en matière de religion et d'opinion. Le Supplément n'avait encore jamais fait l'objet d'une édition séparée, et encore moins d'une exégèse suivie de ses sources ou des relations qu'il entretient avec les autres œuvres de son auteur - non seulement celles publiées aussitôt après la révocation de l'Edit de Nantes, mais aussi les écrits renfermant l'argumentation sur l'athéisme, ainsi que de nombreux articles du Dictionnaire historique et critique. Dans l'introduction précédant cette édition, Martine Pécharman a essayé de montrer que la rédaction du Supplément comportait une démonstration interne en vue de prouver de manière irréfutable la nécessité de la tolérance réciproque.