«Ô Princes, sachez-le bien, / Sachez-le, Aigles et Jaguars, / Le jade et
même l'or / Aussi là-bas s'en iront, / Là-bas, où-sont-les-Décharnés... /
Nous partirons, peu à peu nous disparaîtrons, / Il ne restera rien...» Les
Chants de Nezahualcoyotl expriment la tristesse de tout un peuple,
d'une civilisation splendide à son apogée qui se sent condamnée à
disparaître. «À peine cinquante ans après que ces chants furent prononcés,
note J. M. G. Le Clézio, tandis que les musiciens frappaient sur leurs
tambours et soufflaient dans leurs buccins, et que les danseurs emplumés
tournaient dans la cour du palais, la mort et la destruction sont venues de
l'autre côté du monde.»
On pourrait faire un parallèle entre les Psaumes du roi David et
ces Chants du roi Nezahualcoyotl, poèmes de plainte et de
désolation. L'un et l'autre voient leur fils périr d'une mort cruelle.
Et tous deux élèvent leur plainte vers Dieu : YHWH - le dieu un
qui protège et sauve - ou «Celui-par-qui-vivent-toutes-choses», «le-Dieu-de-l'immédiat-voisinage»,
le dieu inconnu à qui Nezahualcoyotl fait
ériger un temple. «Ainsi les choses nous sont-elles confiées, / Ici, Ô mes
amis, / Seulement ici, dans ce monde. // Demain, après-demain, / Comme le
veut le coeur / De Celui par-qui-vivent-toutes-choses, / Nous irons dans sa
maison, / Ô mes amis.»
Après avoir écouté un Chant de Nezahualcoyotl, le philosophe
Ludwig Wittgenstein confiait à l'un de ses proches : «Voilà pourquoi
tout cela est remarquable, c'est ce à quoi Platon rêvait - qu'un philosophe fût
roi. Il me semble que dans toute culture on trouve un épisode intitulé Sagesse.
Après on peut s'attendre à ce qui suit : Vanité des vanités, tout est
vanité.»