Sur les pas de Brancusi
De Tîrgu Jiu à Philadelphie, via l'impasse Ronsin
L'oeuvre du plus grand sculpteur du XXe siècle a suscité un bon nombre de commentaires souvent contradictoires. On y a vu la quintessence de l'avant-gardisme ou au contraire un primitivisme populaire ; on l'a présenté comme un campagnard naïf ou comme l'alter ego d'esprits acérés tels que Marcel Duchamp. Fondées sur des anecdotes montées en épingle, ces exagérations n'aident en rien à aborder l'oeuvre. Un poteau traditionnel taillé par un paysan roumain peut rappeler des volumes simples dont Brancusi s'est également servi, et un cercle de pierre surgi de la préhistoire a peut-être le même pouvoir fascinant ; mais rapprocher, comparer ne signifie pas mêler ou confondre, car les finalités de l'art et celles de l'artisanat sont bien différentes.
De ses années d'études, de ses expériences sur les matériaux de son art, leur texture, leur couleur, de ses voyages à travers le monde, Brancusi a tiré un savoir qui ne passe pas par des mots mais par des formes avec lesquelles il entendait provoquer des émotions et des interrogations. Cet homme d'un abord si simple était un artiste complexe que la vie, la mort et les questions éternelles n'ont cessé de requérir : l'enfance, l'amour, les bêtes et les plantes, les éléments et notre devenir. Entre ses mains, les formes étaient des idées et les idées étaient des formes saisies à travers des thèmes travaillés tout au long de sa vie : un baiser, l'envol d'un oiseau, le mouvement d'une chevelure, une colonne sans fin montant dans le ciel... Auteur de nombreux essais et monographies sur l'art et la littérature modernes, Serge Fauchereau propose plutôt ici un périple ponctué d'arrêts devant les oeuvres mêmes de Brancusi, des va-et-vient en Roumanie et à Montparnasse et des détours par les Amériques ou l'Asie Centrale ; en gardant à l'esprit ce que disait le sculpteur dans son laconisme et son orthographe à lui : « Voir loing c'est une chos et aller la c'est une autre. »