Qu'est-ce qu'un témoin?
- Tout d'abord, ce que l'on nomme «témoin» n'est jamais «un» mais plusieurs. Il se positionne selon deux perspectives, au moins, donnant à lire son expérience et lisant celle de l'autre, celui que Primo Levi appelle le témoin «intégral».
Le témoin est un moi s'imaginant tel que j'étais et imaginant l'étant de l'autre que j'aurais pu être.
Témoin au pluriel... témoins - le langage juridique est intarissable à leur sujet.
Ils sont mandés, produits, assermentés, ouïs; on les cite, on les confronte.
Ils peuvent s'avérer faux, subornés ou même achetés. Il leur arrive quelquefois d'être reprochés ou récusés. On peut les récoler.
Les uns sont à charge, d'autres à décharge.
On les qualifie de «certificateurs», «honoraires», «judiciaires». Leur relation à l'événement les rend directs, auriculaires, oculaires.
Il y en a aussi qui sont muets, instrumentaires ou pas.
Éloquence du mutisme. Peut-on pourtant faire parler les témoins? En a-t-on le droit? N'y a-t-il pas des cas où l'on en a même le devoir?
Or, disparaissent aujourd'hui les témoins de la Shoah, nos modèles, ces témoins «anormaux». Que pourrait être dès lors, pour «nous» qui «survivons», un devenir-témoin à la fois libéré de l'exigence d'un événement mortifère préalable et d'une conception si habile qu'il transcende le monde des phrases du système judiciaire? Existe-t-il une pratique qui conserve le témoin dans la vie tout en le prémunissant contre l'exigence réaliste de comparaître?
- Ce serait une faculté de témoin procédant à l'aide de l'imagination et de ses propres ruses. Un témoin qui, par artifice, se multiplie.
Urgence pour «nous» aujourd'hui que cet être-témoin-au-pluriel. Ce livre en éclats explore ses conditions de possibilité.