Depuis le 11 septembre 2001, deux Grands Récits opposés se sont disputés
l'intelligence du monde : la guerre américaine contre la terreur et l'exaltation
du martyre par les jihadistes. En voulant nous sauver du Mal - l'un pour
parachuter la démocratie au Moyen-Orient, l'autre pour assurer l'apothéose
de l'islamisme radical sur la planète - ils ont enfanté la barbarie. En restent
des images d'abjection et de violence qui peuplent les écrans de télévision
et d'ordinateur : otages occidentaux égorgés en Irak, victimes déchiquetées
d'attentats-suicides, prisonniers musulmans dénudés à Abou Ghraïb ou
torturés à Guantanamo. Mais sur le terrain, ni les néo-conservateurs ni
Al Qa'ida ne l'ont emporté, basculant au contraire dans la déchéance morale.
Et ils ont ouvert la voie à leur ennemi commun de Téhéran - ravivant les conflits
entre chiites et sunnites, entre Persans et Arabes, sur les rives pétrolifères
d'un Golfe désormais hanté par la menace nucléaire. Avec les succès remportés
par le Hezbollah face à Israël, la conquête de Gaza par Hamas, le fiasco de
l'occupation de l'Irak, la paix américaine, qui devait simultanément sécuriser
l'État hébreu et les flux d'hydrocarbures, s'est avérée une chimère.
Comment rompre le cercle vicieux de la Terreur et du Martyre ? L'Europe,
pourtant marginalisée depuis le 11 septembre, cible d'attentats islamistes
à Londres ou Amsterdam, prise en otage par l'affaire des caricatures du
Prophète, secouée par les émeutes des banlieues françaises, représente
paradoxalement le vecteur de la rencontre concrète entre tous ceux qui
partagent la même volonté de relever le défi de civilisation face à cette
barbarie. En construisant un espace de prospérité qui s'étende jusqu'au Golfe
à travers la Méditerranée, elle établira les contours d'une nouvelle région
fournissant le seul cadre adéquat pour la paix - à condition qu'elle fasse preuve
de courage politique.