L'universalité du succès persistant des aventures de Tintin atteste que cette oeuvre porte en elle une contribution essentielle à l'essor de chacun.
Nous sommes presque tous entrés dans la vie forts d'un roman familial donnant une origine à notre identité. Tintin non. Sa personne pose cette question en creux.
Jeté dans l'aventure, il y puise d'abord une illusion d'exister, se jouant du réel de manière quasi fantasmagorique, en simple héros de papier. Mais très vite il s'étoffe à mesure qu'il explore le mystère des origines.
Cette théodicée intime, consistant à reconstituer la fonction d'un père et celle d'une femme, profite du contrepoint de personnages qui n'y arrivent pas : les Dupondt, Haddock, Abdallah, Milou restent tous piégés dans cette aporie.
Tintin échappe au piège de cette élucidation rétrospective impossible en osant passer outre et se fonder lui-même par la conquête de Soi que blasonne le sauvetage de Tchang, miroir de son propre statut d'enfant sans origine, jadis sauvé des eaux.
En allant l'arracher à la grotte utérine où le retient la puissance femelle que sont ensemble la terrible Yéti et les neiges qui la voilent d'une virginité nuptiale apotropaïque, il brise le scellé mortifère du secret, celui de la mère sidérée d'avoir fauté en concevant de père inavouable. Par le choix courageux de l'accès à soi, il a détruit le sceau de l'interdit et libéré la vie, enfin.
Revivre avec Tintin ce travail du passer-outre a la valeur d'une cure salvatrice de fondation de Soi, une sorte de psychanalyse homéopathique. Cet effet libérateur explique la puissance universelle et constante du succès de cette oeuvre profonde.
Car, tous, nous souffrons des fautes tues de nos ancêtres.
Vivre c'est passer outre par l'accès à soi, se fonder en s'être.