Toute la terre m'appartient
Fragments d'une vie errante
« Des raisons qui expliquent que j'aie tant voyagé (étais-je payé ? en fuite ? poursuivais-je quelque chose ou quelqu'un ?), je ne parlerai pas ici car, de même que les songes sont des songes, les secrets doivent être tus. Qu'il me suffise de dire que ces raisons étaient puissantes. Et que ce n'est pas pour jouer que je me suis tant de fois forcé à réapprendre le plan de la ville, le nom des gens, l'horaire des trains, l'art de me fondre dans le paysage. Sans compter la langue du pays. Car voyager, ça n'a l'air de rien, mais c'est tout un travail.
J'ai donc beaucoup vécu dans les langues - des langues qui n'étaient pas les miennes - comme si, chaque matin, il m'avait fallu enfiler les vêtements de quelqu'un d'autre. Ensuite, les journées se passaient à tenter de déchiffrer ce que les autres disaient, ce qu'ils se disaient de moi entre eux, ce qu'ils voulaient me dire ou me faire dire, ce qu'ils avaient compris de ce que je venais de dire. »