La destinée d'Antonia Pozzi (1912-1938) est celle d'un météore. Comme Emily Dickinson, dont la vie fut cependant deux fois plus longue, elle n'a rien publié de son vivant et l'ensemble de ses poèmes, regroupés après sa mort selon un ordre strictement chronologique, constitue un véritable « journal de poésie ».
Thierry Gillyboeuf, traducteur de Quasimodo, Svevo et Sinisgalli, a entrepris de donner en édition bilingue l'intégralité de cet impressionnant Diario di poesia, qu'admirèrent Vittorio Sereni, Eugenio Montale aussi bien que T. S. Eliot. En 2016 a paru aux éditions Arfuyen le premier volume de cette traduction, intitulé La vie rêvée, qui couvre la période d'avril 1929 à septembre 1933. Ce second volume, Un fabuleux silence, en présente la suite, jusqu'au dernier texte daté, écrit le 7 août 1938 près du lac de Misurina, dans ces Dolomites qu'elle aimait tant : « De lentes fleurs de folie s'ouvrent / sur l'eau de l'âme, réfléchissant / la grande cime couronnée de nuages... // Ton sang qui rêve de pierres / est dans la pièce / un fabuleux silence. »
Dans tous ces textes, étonnants d'intensité et de limpidité, se donne à lire l'énergie douloureuse d'une femme victime des conventions sociales d'un milieu et d'une époque marqués par une structure très patriarcale et par l'idéologie fasciste. Cet enfant qu'elle n'aura pu avoir avec l'homme dont son père n'eut de cesse de la détourner, ce sont ses poèmes qui lui auront donné un semblant d'existence. Car, dans leurs mots qui nous montrent l'herbe et la pâquerette, nous voyons aussi cet enfant qui « en tendant / à peine son petit bras / peut la cueillir sans fouler la prairie ».