« Un goût à la voir nonpareil »
Des images sont-elles capables de nous mettre l'eau à la bouche ? Est-il concevable que nous ayons faim d'images jusqu'à désirer les manger effectivement ?
Une anecdote ancienne, racontée par Pline, rappelle que le célèbre peintre Zeuxis avait si bien réussi à représenter une corbeille de fruits que des oiseaux, abusés, étaient venus la picorer. Attenter aux images, n'est-ce pas leur refuser leur existence même, nécessairement intouchable ? Mais que faire alors des Vanités de l'Âge classique qui nous invitent à leur table, des performances de l'Eat Art pour lesquelles toute forme d image ne fait sens qu'en vue de la dégustation ? Comment appréhender, sous l'angle iconique, la communion de l'hostie, les lactations de la Vierge ? Roland Barthes s'émerveille des oeuvres de Bernard Ré- quichot qui pratique la peinture en cuisinier ; Diderot regarde avec tous ses sens, goût compris, la raie de Chardin ; Dalí rêve que la « beauté sera comestible ou ne sera pas »... L'histoire des images et de leur approche montre, par d'innombrables exemples, qu'elles cherchent à éveiller notre appétit (ou provoquer notre dégoût) et qu'elles réclament parfois l'ingestion.
Avérée ou fantasmée, l'iconophagie trouble les limites de l'intégrité des images ; elle invite à prendre la mesure de leur matérialité et des « échelles de leur consistance » (R. Barthes), à évaluer avec quelle force de présence cette matérialité arraisonne notre sensibilité et nous touche au point que nous ayons envie, à notre tour, de les toucher.