Longtemps, j'ai été à me dire : «Quand mon père
mourra, ce sera énorme.» Je voyais ça comme une
rupture d'ordre cosmique. Je n'arrivais pas à imaginer
mon père absent du monde. Lui et le monde, ça
faisait tout un. Cela était peut-être dû au fait que mon
père, toute sa vie, a construit des maisons. Des années
entières, il s'est débrouillé pour faire tenir debout des
volumes dans l'espace. Crayon, T, équerre, gomme,
compas, table à dessin : voilà pour les munitions, le
carquois. Mon père en blouse blanche, noyé dans les
calques, les devis, les plans, est une des images cardinales
que je garde de son passage sur cette terre. Vous
l'avez sûrement croisé. On ne pouvait pas le rater.