La disparition subite de l'URSS au début des années 1990 a amplifié
au sein de la société russe un retour réflexif sur le passé. Mais le
rapport au passé soviétique se révèle particulièrement difficile à
élaborer et est bien souvent escamoté au profit d'une survalorisation
des temps prérévolutionnaires. Comment, alors, se construisent et se
perpétuent désormais en Russie les souvenirs ? Quel regard les Russes
portent-ils sur leur XXe siècle ?
Pour progresser au coeur d'une anthropologie des façons de faire la
mémoire, cet ouvrage explore l'histoire des milliers de familles originaires
de la ville de Mologa, au coeur de la Russie centrale : à la fin des
année 1930, dans le cadre des grands travaux staliniens, la création
d'un barrage sur la Volga entraîna leur déplacement forcé, la destruction
de leur ville et de 700 villages et l'inondation de près de 4 500 km2
de terres. Ces familles, encore aujourd'hui liées par une communauté
de destin, restituent ici une expérience exemplaire de la période soviétique,
par la démesure et l'arbitraire qu'elle révèle. Et elle permet de
s'interroger sur l'empreinte d'un passé qui, à plus d'un égard, ne passe
pas.
Partant d'une interrogation sur la signification du «retour du néant»
que la communauté affirme avoir accompli, l'auteur décrypte les
«bricolages» de la mémoire des gens de Mologa. Elle s'interroge ainsi
sur l'invocation de la légende de l'Atlantide dans la construction de leur
histoire, sur la signification de cette «Atlantide russe» désormais figure
de référence des déplacés, ce qu'elle révèle et ce qu'elle contribue aussi
à cacher.