Le secret est banal : au bout de quelques pages, on n'a plus aucun
doute sur la véritable identité du jeune Miguel Goitia. Ce que l'on entrevoit
à peine en revanche, c'est la trame imprévisible et obscure qui s'est
tissée au cours des ans entre sa grand-mère, la riche bourgeoise Isabel
Herráiz, et la vieille servante María Antonia Etxarri. Car si le secret
est banal, la complicité, elle, donne une réelle profondeur à l'existence
de ces deux femmes, liées à jamais autour d'un seul et même destin, un
devoir de silence qu'aucune parole, aucun geste ne peuvent trahir.
Dans une Espagne en guerre, déchirée par les combats entre franquistes
et républicains, Manuel de Lope met en scène, avec une finesse
remarquable, les vies parallèles d'Isabel et de María Antonia, réunies par
ce pacte inavouable dont nous découvrons progressivement l'ampleur et
les conséquences. On peut l'interpréter comme une terrible vengeance
contre leur sort et contre le monde des hommes. Mais il témoigne aussi de
toute la force d'une solidarité féminine capable de transformer le drame
le plus inhumain en une histoire scandaleusement humaine.