L'Histoire fait les générations, au sens intellectuel et
artistique du mot, mais ce n'est pas comme dans les
familles : le processus n'est pas continu. Dans l'histoire
de la littérature, il y a bien des périodes où rien de particulier
ne réunit vraiment les écrivains qui sont nés, à
peu de chose près, dans les mêmes années.
Mais, s'il est un événement de l'Histoire moderne
qui, sans conteste, a déterminé une génération en ce
sens, c'est la guerre de 1914. Les romanciers qu'elle
réunit sont ceux qui ont vécu la guerre à un âge décisif,
soit qu'ils l'aient eux-mêmes faite au front, en combattants
(Bernanos, Céline, Drieu la Rochelle, Giono,
Paulhan, dans une mesure moindre Montherlant), soit
qu'elle les ait atteints là où ils étaient (Malraux à Paris,
Guilloux à Saint-Brieuc, Queneau au Havre) dans
leurs années d'adolescence, c'est-à-dire de formation.
Avec le recul d'où nous les regardons aujourd'hui,
ils nous apparaissent non seulement comme une seule
et même génération, mais, dans l'histoire de la littérature
française, comme une grande génération. Leur
oeuvre est à la mesure des défis de l'Histoire auxquels
ils ont été confrontés. Ils sont morts, suivant le cas,
depuis vingt, trente ou quarante ans. Ils ont passé victorieusement
l'épreuve de la métamorphose qu'impose
aux oeuvres la mort de leur auteur.