Une île en hiver
« En montant sur ce bateau, je ne savais encore rien. Je ne pouvais m'imaginer qu'embarquer sur le Marco Polo, c'était traverser le miroir. Je suis monté à bord du Marco Polo et je me suis cogné aux regards des passagers. Personne ne parlait. Dans la cabine, ils étaient tous assis, alignés, silencieux, étonnamment paisibles. Et ils me regardaient.
Dans leurs yeux, il n'y avait pas d'animosité. Aucune curiosité non plus. Rien. Et pourtant, ils me regardaient, tous.
Lorsque j'ai salué d'un signe de tête, les têtes se sont inclinées en cadence pour me répondre. J'ai cherché un regard pour y prendre appui, mais dans tous les yeux il y avait la même chose. De la bienveillance, un peu d'amusement et des tonnes de mémoire. Une infinité d'images dans ces regards, tellement qu'il n'y avait plus de place pour les mots. Et puis, c'était comme s'ils savaient quelque chose dont je ne pouvais pas me douter, comme s'ils partageaient un secret que je ne pourrais jamais percer.
Je me suis senti mal à l'aise et j'ai baissé les yeux.
Je me suis tourné vers le hublot, à la recherche de la silhouette de la ville, de ses tours d'acier, de béton et de verre, d'une vue familière, mais le continent n'y était plus. Nous n'avions levé l'ancre que depuis quelques instants, mais déjà le continent avait disparu ».