Les histoires de famille ne manquent pas dans les Vies de saints. Riches et foisonnantes,
elles projettent l'image d'une cellule familiale bien vivante montrée
dans son intimité, celle du couple et de ses enfants, autour de laquelle se
déploie un groupe de parenté plus large qui sait à l'occasion être solidaire. On
perçoit pourtant dès leur lecture un double langage : sur fond de récit apparemment
réaliste, les hagiographes ont cherché à plaquer des enseignements
chrétiens. Le décor, les personnages, les gestes sont empruntés au monde réel,
mais ils sont «mis en scène» par les auteurs, comme manoeuvrés pour une
représentation.
Il reste à voir dans quelle mesure et pourquoi ils sont ainsi manipulés. Tel
est le projet de cette enquête. Étudier le discours que les hagiographes tiennent
sur la famille et le confronter à celui des autres sources contemporaines,
afin de cerner leurs codes et leurs modes de fonctionnement propres. Dégager
ainsi les messages moralisateurs que les Vitae entendent enseigner, pour
découvrir en trame de l'histoire les comportements sociaux bien réels qu'elles
ne cherchent pas à occulter.
Alors seulement l'auteur se risque à répondre à la question sous-jacente :
cette famille conjugale dont parlent si bien les Vies de saints mérovingiennes
est-elle une construction idéale proposée aux populations comme modèle
chrétien, ou bien une réalité quotidienne que les auteurs se borneraient à
décrire, censurant seulement ses aspects les moins recommandables ? Dans ce
dernier cas, la conjugalité ne serait pas en soi une invention de l'Église du
Moyen Âge mais un héritage social qu'elle a su admirablement s'approprier et
refondre dans le moule chrétien.