Revue d'histoire de la Shoah
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Juillet/Décembre 2008
Le génocide des Juifs d'Europe a été préparé par un long cycle de violences extrêmes. Si l'antijudaïsme, cette passion génocidaire du Vieux Continent, constitue à l'évidence la toile de fond de la Shoah, il ne saurait rendre compte, à lui seul, de cette catastrophe. La brutalisation du monde, inséparable de la révolution industrielle et de l'expansion coloniale, comme le perfectionnement des armes ont poussé à un point rarement égalé l'usage de la violence. C'est dès le milieu du XIXe siècle que se dessinent les prémices de la guerre totale. En particulier avec les violences coloniales qui après avoir ensauvagé les peuples pauvres ensauvageront en retour l'Europe qui les a initiées. Comme l'extrême violence des guerres balkaniques (1912-1913) a préparé la déferlante de 1914. La violence ne constitue jamais une digue contre son recommencement. Tout au contraire même, tant c'est sur ce théâtre que se préparent des violences plus grandes encore. Ainsi, c'est dans la guerre de 1914-1918 (en particulier sur le font oriental) comme dans les déportations de civils que se sont préparées les déportations des années quarante. De même que les pogromes de 1918-1921 avaient une allure prégénocidaire qui annonçait Babi Yar.
Les dernières décennies du XIXe siècle et les quatre premières du XXe ont préparé l'avènement de ce que Ludendorff appellera la « guerre totale », un creuset dans lequel les esprits se sont accoutumés à un haut niveau de violence.
Dans ce dossier réalisé par Annette Becker et Georges Bensoussan, il s'agit d'inscrire l'histoire de la Shoah dans la généalogie de ces violences extrêmes, à la fois comme l'aboutissement du plus vieux délire de l'Europe, mais aussi comme l'apogée d'une brutalisation préparée un siècle en amont au moins.