Des peuples errants, sans espoir, entrent dans la chambre vide du domestique, qui est la mienne pour quelque temps. Le domestique est mon ami, qui travaille du matin au soir, qui travaille à n'en plus finir. Quand il me parle, de la sueur coule avec ses mots prononcés à voix basse : je ne l'entends presque pas, pourtant je vois le peuple errant dans la chambre que j'occupe avec lui. Dans cette chambre, ni lui ni moi ne sommes domestique, esclave ou Maître, mais deux êtres vivants qui aimons la conversation tout simplement. Il a quitté un village de brousse, une maison de terre sèche où vieillissent ses parents, vivent ses innombrables frères et soeurs auxquels, en fin de mois, il envoie un peu d'argent alors que lui-même ne possède rien dans cette chambre où la révolte est peinte aux murs. L'air entre en force derrière les peuples errants, tandis qu'une théière bouillonne avec du thé amer dedans, qui passera d'un verre à l'autre pour couper la faim, mais pas l'espoir. Dans les villas des beaux quartiers s'échinent des ribambelles de domestiques. Ils sont sans âge, et j'imagine leurs histoires d'amour quand j'aperçois leurs vélos bricolés, adossés aux baobabs, ces vieux géants qui protègent le peuple tout autour d'eux. C'est pour bannir ce mot de domestique, que je l'emploie. Combien tant et tant ont souffert de telles servitudes, que j'en appelle avec force qu'on le retire du langage, mais cela suffira-t-il avec la poésie d'inventer une langue nouvelle qui dira les hommes égaux ? Je crains que non, mais je le chante pour qu'au moins quelques-uns l'entendent. N'écrivons-nous pas pour ouvrir des fenêtres, pousser des portes, entendre cette rumeur profonde du silence ?