Voyage sentimental en France et en Italie
Laurence Sterne (1713-1768) entreprit son Voyage sentimental pour relancer l'inspiration de Tristram Shandy. De Tristram, ce livre garde l'humeur et l'humour saccadés, mais il s'en écarte comme l'imprévu du voyage s'oppose à la sédentarité, l'ouverture au ressassement. C'est que Sterne avait conçu ce Voyage sentimental comme une oeuvre de réconciliation avec le monde. À une époque où se multiplient guides, instructions et comptes rendus à l'usage des voyageurs, il va déjouer systématiquement les attentes de son lecteur : en France, le pasteur Yorick ne prête attention ni au Louvre ni au Luxembourg, mais plutôt au sourire d'une grisette, à un âne mort sur la route, à l'indéfectible bonne humeur d'un valet incompétent. Mêlant la sophistication littéraire à un cosmopolitisme naïf et presque évangélique, le voyageur sternien choisit de ne rien voir que les mouvements infinitésimaux de son âme à l'épreuve des rencontres.