« Où que me porte mon voyage, la Grèce est ma blessure », écrivait Georges Séféris dans un de ses poèmes les plus célèbres. Accéder, un demi-siècle après la mort de leur auteur en 1971, aux pages de ces Journées, enfin traduites intégralement en français, c'est en comprendre les raisons. Séféris, né à Smyrne en 1900 et entré très tôt dans le corps diplomatique, fut attaché sa vie durant au ministère des Affaires étrangères. Nous découvrons, par les yeux d'un homme qui en aura été le témoin et parfois un acteur de premier plan, ce que fut véritablement l'histoire de la Grèce de ces années 1925-1944 - de l'exode qui fit suite à la « Catastrophe » de 1922 jusqu'à la guerre civile. Nous le suivons dans ses exils successifs à Londres, en Albanie, en Crète, en Égypte, en Afrique du Sud, à Jérusalem, en Italie, au gré des événements dont il se fait le chroniqueur, avec une lucidité et un art de l'observation dignes du Hugo de Choses vues, tout en conservant à ce journal, avec ses interrogations, ses havres et ses écueils, sa part intime. Celle qui le montre s'obstinant à rechercher - quelles que soient les circonstances - « l'expression la plus juste, comme une corde tendue », dans une oeuvre de poète et d'essayiste qui lui vaudra en 1963 le prix Nobel de littérature.
« Dimanche 22 octobre 1944
Quand on entre en Grèce, on a le sentiment, non pas d'avancer, mais de gravir des marches, de passer un seuil. C'est un autre monde, qui se situe à un autre niveau. Ce matin, la pointe orientale d'Hydra, Poros, et puis la montagne d'Égine, épine dressée derrière le promontoire, et ensuite, dans les jumelles, l'Acropole. J'ai été, je crois, le premier à l'apercevoir. Tout le monde à bord, les étrangers comme les Grecs, soldats et gradés, tout l'équipage du bateau, de la proue à la poupe, s'était figé dans un silence absolu, comme lorsque le chef d'orchestre frappe le pupitre de sa baguette dans une salle de concert.
Aujourd'hui, cela fait exactement trois années et demie que j'ai quitté Le Pirée, le 22 avril 1941.
C'est la plus belle journée du monde, la plus légère. »
Georges Séféris, Journées IV, 1941- 1944.
Ce volume contient la traduction intégrale, et annotée, des quatre premiers tomes de l'édition grecque des Journées. En annexe, un dossier rassemble : les premières pages du « Manuscrit de septembre 41 » concernant l'enfance de Séféris en Asie Mineure ; deux témoignages sur la rencontre de Séféris avec André Gide en 1939 ; et un portrait de Séféris par Henry Miller. Le livre est illustré de quelques photographies, dont la plupart ont été prises par Séféris lui-même. Des repères bio-bibliograhiques et un index des personnes citées complètent l'appareil critique.