Récit traduit de l'hébreu par : Laurence Sendrowicz
Yoram Kaniuk interroge ici le jeune homme qu’il a été en 1948, survivant d’une guerre (la guerre d’Indépendance), qui relève davantage de Charlot soldat que du récit héroïque… Il nous fait parcourir ce pays naissant, à travers des combats qui ont pour théâtre d’opérations villes, villages, citadelles, collines, monastères - des lieux qui constituent une géographie guerrière dont la logique échappe aux simples soldats. Car aucun de ces jeunes qui tombent comme des mouches ne sait manier la mitraillette, ou bien, lorsqu’ils le savent, c’est la mitraillette qui se révèle impraticable...
À partir d’anecdotes où l’horreur côtoie le burlesque, l’écrivain compose un puzzle inédit qui, sous une autre plume, serait à peine crédible. Mais Kaniuk a le génie du détail qui illumine l’évidence. Dans une écriture à la fois jaillissante et très contrôlée, il retrouve son regard d’adolescent perplexe jeté dans la guerre avec, pour tout entraînement, quelques bains de mer glacés. Témoin privilégié d’événements qui le dépassent, d’un conflit où rien n’a été réglé malgré le prix humain démesuré qu’il a exigé et exige encore, Yoram Kaniuk, avec une grande lucidité, ne cherche ni à justifier ni à condamner : il pose des questions auxquelles nulle réponse valable n’a encore été trouvée...
Magistralement, avec beaucoup de subtilité, en évoquant cette guerre vieille de plus de soixante ans, l’écrivain nous parle d’aujourd’hui. Au fond de chaque description de ces combats d’où personne - même pas les survivants - n’est ressorti vivant, c’est l’inanité des guerres, de toutes les guerres qui nous prend à la gorge...