Après maints efforts devant les machines, à aligner, composer, cadrer, plier, couper, des rognures d'encre fraîche sous leurs ongles, ils empoignaient leurs vestes, mettaient la clef sous le paillasson, prenaient un train, puis l'autocar des hauteurs, sur les routes en lacets dans les vallées.
Ils suivaient des sentiers, cherchaient l'ombre des sous-bois, préparaient des feux, inhalaient les volutes s'échappant des becs de leurs pipes. À travers les troncs le livre apparaissait, holographique, spectral.
Ils tendaient leurs mains, leurs doigts à le toucher, s'en saisissaient presque mais le poing se refermait sur une absence.
Les yeux mi-clos, ils ondoyaient sur la plaine des pages, flottaient à la crête des caractères, sombraient dans la nuit d'un tombeau de papier. Ils déboulaient menaçants, perdus, dans des demeures-labyrinthes qui grandissaient sans fin, cherchaient, hébétés, le nom de toutes choses sur le bout de leur langue.
Vers la fin, quand leurs milliards de cellules faisaient électrochoc et que l'écho de leurs cris se diffractait sur les parois de granit, ils atterrissaient graduellement sur la mousse, la racine de leurs cheveux trempée de sueur.
Par la suite, dans le bus à lacets descendant la montagne, le silence régnerait entre eux et encore quand ils passeraient la porte de l'atelier aux machines, aux plis et aux rognures d'encre et de même quand ils se regarderaient, interrogatifs, sous la lumière des néons. J. S.