Hitchcock avait prévu une scène qui violerait de façon flagrante
les directives du code Hays interdisant "les baisers excessifs, les
étreintes lascives, les postures et gestes suggestifs". Officieusement,
les baisers à l'écran étaient limités à quelques secondes, mais
dans cette scène des Enchaînés, Cary Grant et Ingrid Bergman
s'embrasseraient passionnément pendant beaucoup plus longtemps.
Interrompus par la sonnerie du téléphone, ils resteraient
étroitement enlacés en rentrant dans l'appartement pour y répondre.
Quelques phrases du scénario furent modifiées pour satisfaire
les censeurs, mais c'est la mise en scène et le travail de caméra
qui se moquaient du code.
Selon Bergman, les deux vedettes se sentaient mal à l'aise
pendant le tournage de cette scène. Hitchcock les rassura : "Ne
vous en faites pas, sur l'écran, ça sera très bien."
C'était si bien que les censeurs acceptèrent la scène. "Nous
n'arrêtions pas de bouger et de parler, de sorte que les baisers
étaient constamment interrompus", explique Bergman.
Pendant les années 1940, Hitchcock eut rarement la possibilité
d'obtenir la distribution dont il avait rêvé, mais Les Enchaînés est
une splendide exception. Ingrid Bergman était devenue une
amie intime du réalisateur, sa complice dans leur conspiration
contre David O. Selznick et Hollywood. Bergman était lasse de
jouer les saintes, et ici elle avait l'occasion d'interpréter une
soûlarde pleine de remords qui accepte de coucher avec le diable
pour apaiser sa conscience.
(extrait)