Bel-Ami, c’est un mélange savant entre une version « réaliste » de Don Juan, façon XIXe, à la française et d’un Rastignac fin de siècle, sincère dans son goût obstiné pour le mensonge opportun, nitzschéen dans sa volonté désirante que rien ni personne ne semble pouvoir arrêter. Rappelons l’intrigue : un pauvre petit sous-officier, Georges Duroy, se hisse au rend de magnat de la presse et de riche rentier au moyen de nombreuses ruses et manipulations dont les femmes sont le principal rouage.
Mais si l’être de papier, Duroy, que crée Maupassant semble se plier avec devoir à la maxime flaubertienne du « Mme Bovary, c’est moi », le divorce entre l’auteur et son héros est discrètement consommé dès les premières pages : avec une minutie de chirurgien Maupassant dissèque le comportement d’un salaud pour lequel il n’a que de l’antipathie. Et alors, l’arsenal de subversion entre en scène : le capitalisme, la bourgeoisie, les scandales politico-financiers de la fin du XIXe siècle, tout est patiemment démonté par Maupassant, qui propose au fil du roman, un véritable traité de la nature humaine. Et le tableau qui peu à peu se dessine sous les yeux du lecteur doit plus aux Vanités du XVIIe siècle qu’à Manet ou Courbet : l’homme est par nature enclin à faire le mal, car sa propre survie lui importe plus que tout.
La présente édition reprend l’édition de 1885 chez Victor Havard.
Ce livre s’adresse aux lecteurs qui pensent que la contestation est une affaire récente et politique. Maupassant fait la démonstration que la littérature a les moyens de subvertir l’ordre ambiant, sans violence ni révolution. Dans le silence de la lecture.