Causeries au jardin d'enfants : le titre, non sans humour, de ce livre sans équivalent de l'architecte Louis H. Sullivan (1856-1924) - inventeur, à Chicago, de l'» immeuble de bureau de grande hauteur », mais aussi farouche défenseur de l'ornement en rapport à la vie organique des bâtiments -, rappelle la légèreté souriante et sérieuse des ouvrages pédagogiques de Viollet-le-Duc.
Le lecteur y découvrira une pensée et un objet sui generis ;mais, aussi bien, il sera surpris par la fraîcheur de ces pages, leur humour, leur primesaut, leur souci pédagogique, et par une simplicité de style que vient parfois habiter une langue poétique, voire prophétique, approfondie encore par les fulgurances d'une remarque, d'une idée ou d'une image inédites. Idée ou image toujours étonnamment corrélées à la simple description d'un « bâtiment » qu'on évaluera au regard de sa puissance spirituelle, et qui devra passer par « la pierre de touche de l'humanité » et montrer sa volonté « d'exprimer le génie du peuple » en son temps et en son lieu.
Car dans ces sortes de lettres à un jeune architecte, il s'agit bien d'une causerie sur l'architecture et plus encore sur l'architecte lui-même et les processus de création qu'il doit mettre en oeuvre en retournant sans cesse à des principes et des préceptes que la Nature et la Vie lui imposent : « Chaque bâtiment que tu vois est l'image d'un homme que tu ne vois pas. » Ainsi Sullivan se pose-t-il en maître et en guide - qu'il est légitime qu'il demeure, tant ses leçons méritent d'être méditées aujourd'hui.
Sans jamais perdre de vue les problèmes propres à l'architecture, Sullivan énonce bien des choses claires, fécondes, problématiques, simples et fortes, « vraies », dirait-il, sur l'art et la création, la pensée et l'imagination, mais aussi sur l'éducation et la responsabilité, la liberté et la démocratie : en définitive, sur l'Homme et la vie insaisissable.