«Enfin une Française, après Hannah Arendt et Melanie Klein !» approuvent certains de mes lecteurs, soulagés à l'annonce du nom de Colette (1873-1954). «Colette, un génie ? celui d'une France surannée et disparue, et qu'on préfère oublier !» protestent les autres.
J'aime l'écriture de cette femme : c'est un ravissement immédiat et sans «pourquoi», mais je tente pourtant le pari d'une explication. Colette a trouvé un langage pour nommer une étrange osmose entre ces «plaisirs qu'on dit à la légère physiques» et l'infini du monde - éclosions de fleurs, ondoiements de bêtes, apparitions sublimes, monstres contagieux. Vagabonde ou entravée, libre, cruelle ou amoureuse elle nous transmet un «alphabet nouveau» qui écrit la chair du monde.
Au nomadisme, à la décapante réflexion de Hannah Arendt et de Melanie Klein, Colette ajoute une autre expérience qui est aussi un visage du XXe siècle. Contre les frustrations de sa vie intime, contre les épreuves que lui imposent la réalité sociale et la guerre, l'écrivain célèbre le plaisir de vivre qui est, pour elle, et sans distinction, un plaisir des sens et du mot juste. Sœur solaire de l'hystérique freudienne, elle impose cependant une parole féminine désinhibée qui se plaît à formuler ses plaisirs, sans pour autant en dénier les douleurs. Cet hymne à la jouissance, dont on a loué les accents païens et l'«inexpugnable innocence», s'énonce pour la première fois par la voix et sous la plume d'une femme, d'une Française.
Alors, y a-t-il un génie féminin ? Chaque sujet invente en secret un sexe spécifique : c'est même là que réside son génie qui est, tout simplement, sa créativité.
J. K.