J'aurais sans doute poursuivi mon chemin de romancière sans les événements tragiques
de Yougoslavie qui m'ont, dès 1991, déroutée et touchée au plus vif en éveillant chez
moi un écho inattendu et d'emblée, dès 1991, un sentiment d'inexorable et catastrophique
répétition de l'histoire - non pas répétition de la petite mienne, secrète et qui
n'intéresse que moi, mais de la grande, celle que font les hommes avant que d'autres la
racontent de mille et une façons. De ce douloureux sentiment de répétition mortifère,
que personne autour de moi en France ne partageait, et dans ce contexte tragique
naquit, à partir d'un rêve en couleurs et d'un cas clinique qui m'avait été raconté par
un jeune médecin, un roman ancré dans le contexte de la Deuxième Guerre mondiale ;
un roman dans lequel une petite fille joyeuse de vivre, portant mon prénom, ne pouvait
exister, et grandir, que dans les rêves de sa mère.
Tenter de penser clairement ce qui s'est produit entre 1991 et 1995 dans cette
partie de l'Europe du sud-est qualifiée dans nos manuels de «poudrière»
depuis au moins 1914, tel fut l'enjeu de ce long travail. Les textes réunis dans
ce volume constituent une contribution à la compréhension du mécanisme
psychique, manifestement déterminant dans le registre politique, médiatique,
juridique et donc historique, ayant abouti à la dernière politique génocidaire
européenne du XXe siècle.
En contrepoint du travail d'Hannah Arendt qui proposait de «penser l'événement»,
Louise L. Lambrichs propose de penser le fait génocidaire comme
réel, objet d'un déni inconscient favorisant de telles répétitions historiques
mortifères. Si, comme l'écrit Donald Winnicott, «la santé est incompatible avec
le déni de quoi que ce soit», ce travail, tentant de lever un déni majeur largement
partagé, s'inscrit dans une perspective salutaire.