C'est en 1941 que l'amitié entre Félix Fénéon (1861-1944) et jean Paulhan (1884-1968) - qui se connaissaient depuis 1917 - s'est approfondie. Fénéon était silencieux depuis le milieu des années 20 (et très malade), Paulhan était réduit au silence par les autorités d'Occupation qui lui avaient retiré la direction de La Nouvelle Revue française. En cette même année 1941, le premier avait procédé à la vente de sa fameuse collection de tableaux, le second avait publié son grand-oeuvre, Les Fleurs de Tarbes.
Dès février 1942, Jean Paulhan désira intéresser son vieil ami « tout en ruine », qui ne souhaitait que se laisser discrètement mourir, à plus d'un « projet d'avenir » : il voulait d'abord rédiger un nouvel essai sur la critique, dont Fénéon serait le centre. F. F. ou le Critique sera publié en novembre 1943 dans Confluences, puis en 1945 chez Gallimard. Il voulut ensuite rassembler les écrits de Fénéon - tâche ardue quand on sait que celui-ci s'était évertué à effacer ses traces... Toujours est-il que l'humour noir et l'acuité de ses « Nouvelles en trois lignes », non signées et publiées à la une du Matin en 1906, restaient dans les esprits. En 1948, paraîtra chez Gallimard un fort recueil des textes critiques et littéraires de Fénéon, réunis par Paulhan et introduits par ces mots : « Nous n'avons peut-être eu en cent ans qu'un critique, et c'est Félix Fénéon. / Cela fait une étrange gloire, hors des enquêtes et des anthologies, hors des académies et des journaux, hors de la vie, comme on dit, littéraire. Cela fait une gloire mystérieuse qu'il faudrait serrer de plus près, qu'il faudrait comprendre. »
Pour tenter d'élucider cette énigme, « l'interrogant docteur » posa nombre de questions à Fénéon et lui rendit souvent visite dans la maison de santé de la Vallée-aux-Loups, où il était installé avec sa femme Fanny. Fénéon finit par se prendre au jeu et donner - quoique de manière décalée, modeste, cryptée - toujours plus de précisions.
Après la mort de Fénéon, le 29 février 1944, Jean Paulhan écrivit à sa veuve : « Il n'est plus là pour tâcher de dissuader ceux qui veulent l'admirer, l'aimer. Il y a son oeuvre, qui sera chaque jour mieux connue. Il y a sa collection qui impose avec tant d'évidence ce qu'il y avait peut-être dans son goût de plus subtil, de plus difficile. [...] Puis il y a toute cette grande confiance qui commençait de lever autour de lui. Il y a le coeur de ses amis. »