C'est donc non seulement un coin quelque peu perdu dans l'univers de
Paulhan que la correspondance avec Belaval fait redécouvrir, c'est aussi
un Paulhan qui diffère sensiblement de celui qui sollicitait le soutien des
grands auteurs de la maison Gallimard, et soutenait à son tour les jeunes
auteurs de la N.R.F. ; celui qui demandait avis sur son travail et qui faisait
part de son désespoir d'écrivain. Belaval, comme tant d'autres, s'adresse
d'abord à Paulhan comme jeune auteur ambitieux. Mais très rapidement
il se met au service de l'oeuvre de son éditeur, inversant le rapport qui
caractérisait la plupart des relations littéraires de Paulhan jusqu'au point
où il souhaitait enlever celui-ci à Gallimard, l'entraîner dans une île
déserte pour qu'il mène à bien ses différents travaux. Il soumet les
manuscrits de Paulhan à une lecture attentive, repérant maladresses et
fautes de typographie. Il harcèle son aîné pour qu'il respecte les dates
limites qu'il se fixait. Cependant, même cette détermination forcenée de
voir l'accomplissement de l'oeuvre de son maître ne servait pas à grand-chose.
Car Paulhan n'a plus besoin d'encouragement : il écrit, bien plus
qu'avant la guerre, malgré - ou sans doute à cause de - son isolement
croissant dans le monde littéraire.
Ce n'est donc pas l'ébauche d'une oeuvre que l'on voit se profiler dans
ces lettres, contrairement à la majeure partie de la correspondance de Jean
Paulhan. Ici on assiste à la difficulté que cette oeuvre présente aux autres,
même à ceux qui sont les plus aptes à la comprendre, tel Yvon Belaval,
philosophe de formation, mais aussi auteur de divers écrits sur la poésie et
amateur de peinture. Il y avait beaucoup pour réunir ces deux hommes, et
comme Paulhan le dira lui-même, s'il n'avait pas eu «tant de choses à faire
encore qu'il ne [lui] est guère permis de songer aux métamorphoses», il
aurait été content d'être Belaval, capable de passer avec aisance de Leibniz
à Max Jacob. Mais Paulhan est maintenant investi d'une idée claire de ce
qu'il doit accomplir, une idée claire qui est nécessairement relayée par une
zone d'obscurité, par un secret, qui forme un silence au coeur de cette
correspondance.