Bibliothèque historique du Marxisme
Les deux premières intentions de cet essai sont d'une part de relancer le débat sur la « diffusion manquée » du marxisme en France à la veille de la Grande Guerre, et d'autre part de proposer une relecture polémique d'un épisode mal connu de l'histoire des doctrines économiques. En effet, la pénétration des doctrines marginalistes dans la France de la Belle Époque ne fut pas un obstacle à l'assimilation des analyses de Marx sur le capitalisme. Les travaux de Vilfredo Pareto, en particulier, vinrent combler les incompréhensions de doctrines économiques marquées par les bouleversements sociaux en cours.
À un autre niveau, sur le terrain de la science politique, ces débats accompagnent l'émergence d'un syndicalisme qui met alors en échec la naissance d'une réelle social-démocratie française. Sorte de « compagnon de route » de cette action syndicaliste, Georges Sorel en propose une pensée qui adopte par défaut les thèses marginalistes, mêlées à l'influence de Benedetto Croce et des deux Labriola. Mais c'est paradoxalement pour mieux se recentrer sur la référence au prolétariat des producteurs, dans une glorification du conflit social et des valeurs du combat... Or le déclenchement de la Première Guerre mondiale plongera ces velléités dans la stupeur et l'impuissance apeurée. Comment saisir cette rupture apparente ? Dans le cadre d'un retard historique du capitalisme français, et face à la mutation de la « question sociale », l'adoption du marginalisme ne laisse-t-elle pas l'analyse politique sans instruments pour comprendre les dynamiques internationales et s'y insérer ? Telle est l'hypothèse centrale de cet essai.
La rivalité entre « utilité marginale » et « valeur-travail » renvoie à deux projets concurrents de société. Mais sous le débat économique et politique qui anime la scène européenne, une dynamique propre au champ philosophique est à l'oeuvre : il est déjà question de la dialectique. Mouvement objectif, méthode particulière, scorie métaphysique ? Elle est le point d'orgue de ces divergences passionnées qui font époque.