La figure du missionnaire catholique aventureux et «civilisateur»
est beaucoup plus répandue qu'on ne pourrait le croire
au sein de la bande dessinée belge d'expression française. Elle
tient une place éminente dans Tintin au Congo, qui se présente
tout autant comme un éloge de l'évangélisation que comme une
apologie de la colonisation. Mais beaucoup d'autres héros de
papier croisent au cours de leurs exploits un sympathique prêtre
barbu en soutane blanche : Tif et Tondu, Blondin et Cirage, Tiger
Joe, Marc Dacier, Stany Derval, ou encore M. Tric. En outre,
un nombre non négligeable de bandes dessinées «historiques»
mettent au premier plan des missionnaires : grandes biographies
en images comme le Charles de Foucauld de Jijé, ou brefs récits
complets, comme ces deux «Histoires de l'Oncle Paul» consacrées
au jésuite De Smet, «apôtre des Peaux-Rouges».
Loin de se réduire à un élément du décor dans des aventures
lointaines, le missionnaire apparaît comme un formidable révélateur
des racines de la bande dessinée belge francophone. Cette
dernière est née dans un environnement catholique, et elle entend
privilégier les grandes aventures «exotiques», tout en cultivant
une dimension didactique. Elle ne pouvait donc faire l'impasse
sur le missionnaire, personnage mis en avant par tout un discours
et une imagerie de «propagande», et présenté comme un explorateur
intrépide, mais aussi comme un héros «utile», puisqu'il
voue son existence au Salut des autres...
Le vent de liberté et de «laïcité» qui souffle, à partir de la
fin des années 1960, sur la bande dessinée belge aboutit à un
certain effacement du missionnaire. Mais cette figure était trop
ancrée dans l'histoire du genre pour s'évanouir complètement. Au
cours des années 1980, des «maîtres» comme Jijé et Hausman
apparaîtront dans certaines bandes dessinées sous les traits d'un
«ouvrier apostolique». Mieux, une série humoristique centrée
sur un bouillant missionnaire sera lancée au milieu des années
1990 : «Odilon Verjus»...