Nous pensons, nous sommes libres et nous éprouvons des
passions : pour quelles raisons ? Descartes fournit cette réponse
simple : parce que nous en faisons l'expérience. L'esprit actif
institue un ordre de la raison qui se fonde sur des faits que
l'homme expérimente en lui-même et dont il serait absurde de
douter. Contrairement à la démarche empiriste qui recherche une
origine dans une genèse de l'acte de connaître, l'expérience
cartésienne témoigne de faits évidents. Les natures simples, le
cogito, la liberté ou l'union de l'âme et du corps font l'objet
d'une expérience dans laquelle s'établit un contact immédiat
avec un réel dont il est inutile de fournir les causes. Parce qu'elle
est celle que chacun fait de son propre esprit, l'expérience
cartésienne propose à la philosophie une activité concrète où
l'objectivité et la conduite de la vie se gagnent par une
appropriation qui est aussi une mise à distance positive.
Parallèlement au champ scientifique auquel elle ne s'identifie
pas, elle s'impose alors comme une notion originale mettant en
rapport les droits de la conscience et l'activité dynamique du
sujet qui pense. Loin de réduire le pouvoir du connaître aux
capacités cognitives du cerveau, à une analyse introspective ou
à des savoirs constitués, elle assure que partir de ses propres
perceptions dans la connaissance ou d'une expérimentation de
soi dans l'efficience est le meilleur gage d'une pensée dont la
liberté reste la condition d'accès à la vérité.