Duchamp traversé
Essais 1975-2012
Les sept essais qui composent le présent recueil balisent quarante années du travail d'Herbert Molderings, un des plus importants spécialistes actuels de l'oeuvre de Marcel Duchamp. Celui-ci étant apparu, dans le dernier quart du XXe siècle, comme le grand maître à penser de l'art le plus audacieux, les études ici réunies veulent montrer que c'est par son attitude non métaphysique, sceptique et ironique à l'endroit de l'activité artistique, que Duchamp a préparé la voie à l'esthétique postmoderne.
À travers un processus permanent de déconstruction des conventions, il a substitué au discours formel des mouvements picturaux modernistes le primat du don d'invention, du plaisir de penser. Contrairement aux tenants de la « peinture pure », il ne considère pas la vision comme un processus abstrait, sans relation avec le corps, mais l'envisage comme partie intégrante d'un désir et d'un rapport physiques au monde. Une position que l'artiste pousse à l'extrême dans sa dernière oeuvre, le « théâtre optique » Étant donnés : 1° la chute d'eau, 2° le gaz d'éclairage, où le regardeur devient lui-même objet du regard. Cette oeuvre est mise ici en rapport, comme rarement elle l'a été, avec le contexte historique auquel elle doit sa naissance : la flamme ravivée de la « peinture pure », celle de l'expressionnisme abstrait aux États-Unis.
Plus qu'aucun autre historien de l'art, Herbert Molderings s'est intéressé à la période de l'exil américain des années 1940, synonyme pour Duchamp d'un véritable renouvellement artistique. Ses recherches l'ont notamment conduit à mettre au jour plusieurs oeuvres jusqu'alors méconnues : l'autoportrait Marcel Duchamp à l'âge de 85 ans, incunable de la photographie conceptuelle, Le Rayon vert, une installation lumineuse et photographique aujourd'hui perdue, ou encore le collage Réflection à main de 1948. Ces travaux s'inscrivent tous dans un ensemble d'oeuvres marquées par de nouvelles réflexions esthétiques qui, résumées sous la notion d'« inframince », traitent de sensations extrêmement subtiles, à la limite du seuil de perception. Une traversée de Duchamp qui est aussi, et par conséquent, une véritable heuristique de l'imperceptible.