Titre de prime abord énigmatique. Donnons le mot : il s'agit
de l'homme et de la femme - de leurs relations les plus
concrètes, amoureuses et sexuelles, dans leur vie de tous les
jours, oui, comme dans leurs rêves et leurs fantasmes. Cela
n'a rien à faire, bien entendu, avec ce que la biologie étudie
sous le nom de sexualité. Faut-il pour autant laisser ce
domaine à la poésie, au roman, aux idéologies ? On tente ici
d'en donner une logique. C'est retors.
Dans l'ordre sexuel, il ne suffit pas d'être, il faut encore
paraître. Cela est vrai des animaux. L'éthologie a détaillé la
parade qui précède et conditionne l'accouplement : c'est,
dans la règle, le mâle qui fait signe à sa partenaire de ses
bonnes dispositions, par l'exhibition de formes, couleurs,
postures. Ces signifiants imaginaires constituent ce que
nous appelons des semblants. On a pu aussi bien les mettre
en valeur dans l'espèce humaine, et y trouver matière à satire.
Pour y trouver matière à science, il convient de les bien distinguer
du réel qu'ils voilent et manifestent à la fois, celui de
la jouissance.
Celle-ci n'est pas la même pour l'un et l'autre sexes.
Difficilement localisable du côté femme, et à vrai dire diffus
et insituable, le réel en jeu est, du côté homme, coordonné
à un semblant majeur, le phallus. D'où il ressort : que,
contrairement au sens commun, l'homme est l'esclave du
semblant qu'il supporte, tandis que, plus libre à cet endroit,
la femme est aussi plus proche du réel ; que rencontrer
sexuellement la femme est toujours pour l'homme mettre le
semblant à l'épreuve du réel, et vaut comme «heure de vérité» ;
que, si le phallus est apte à signifier l'homme comme tel,
«tout homme», la jouissance féminine, pour n'être «pas-toute»
prise dans ce semblant, fait objection à l'universel.
Dès lors, une logique est possible en effet, si l'on a le nerf
d'écrire ainsi la fonction phallique, (...) (x), et de formaliser les
deux modes distincts, pour un sujet, de se sexualiser, en s'y
inscrivant comme argument. Cette élaboration demande : de
passer outre les mythes inventés par Freud, l'OEdipe et le
Père de la horde (Totem et tabou) ; de mobiliser Aristote,
Pierce, la théorie de la quantification ; d'élucider la vraie
nature de l'écrit, en passant par le chinois et le japonais.
Au terme du parcours, on saura donner sa valeur exacte à
l'aphorisme lacanien : «Il n'y a pas de rapport sexuel.»
Jacques-Alain Miller