Cet essai retrace le parcours de la philosophie morale, de l'Antiquité à la
Renaissance, lorsqu'elle s'attache à mesurer le rôle de l'humeur colérique
dans le champ de l'affectivité. Les médecins de l'Antiquité, Hippocrate
et Galien, qui voient dans le déséquilibre humoral la cause des maladies
physiques et mentales, tiennent la colère pour responsable de graves
perturbations ; les moralistes exploiteront le savoir médical pour dénoncer
les dangereux effets de l'irascibilité, susceptible d'emporter jusqu'au délire
quiconque ne sait pas résister à cette impulsion. Dans le procès de la colère,
toujours enflammé, Aristote, sur les bancs de la défense, est son avocat
le plus ardent : elle est à ses yeux, comme l'assurait Achille, «beaucoup
plus douce que le miel». S'attachant à définir la logique des passions, il a
l'originalité d'arracher la colère au champ de l'irrationnel, en montrant
qu'elle peut prêter l'oreille à la raison, et il la tient alors pour l'alliée efficace
du courage et de la vertu.
On a prêté attention aux arguments d'Aristote lorsqu'il se dresse en
défenseur d'une juste colère, et à ceux des humanistes, comme Aubigné ou
Sponde, qui attestent qu'il est des fureurs légitimes : la colère qui «brûle
le foie» de Juvénal devant le spectacle des injustices est assurément juste.