Figure de la marge, gamin de Paris ou petit vagabond des rues de Londres, l'enfant errant devient paradoxalement un personnage central du roman européen du 19e siècle, tant il synthétise les hésitations et les contradictions d'une société́ en pleine mutation et sape durablement l'éthique de progrès qui prévaut autour de lui mais ne sait pas l’inclure. Le roman populaire, le théâtre et l’écrit autobiographique reviennent inlassablement vers l’enfant errant, fascinés qu’ils sont par une dialectique ambigüë qui fait alterner errance et intégration, liberté́ et enfermement, dérive et itinéraire. Quant à la littérature de jeunesse, que l’on voit se développer au cours du siècle, elle offre obstinément en modèle à son lectorat ce petit personnage souvent effronté́, toujours à l’écart, comme si l’éducation et la socialisation de l’enfant-lecteur ne pouvaient se passer de l’exemple des tribulations du petit vagabond. C’est donc sur cette figure familière de la littérature du 19e siècle que se penche cet ouvrage, qui examine les multiples facettes de l’errance, qu’elle soit misérable, aventurière, réelle ou fantasmée, quête identitaire ou encore désir d’éprouver la norme, car le propos ici est bien de montrer que le petit personnage fragile traverse le siècle porteur d’un questionnement qui dépasse largement la dimension sociale.
Sommaire
I. Enjeux sociaux
Claude FOUCART — Une zone de non-droit : Jeanlin, un « avorton », un « insecte » quittant le « terri » pour le « creux »
Daniel ARANDA — Bonifier l'errance : tourisme et commerce dans P'tit Bonhomme, de Jules Verne
II. Errance, éducation, imaginaire
Christa DELAHAYE — L'errance dans les voyages d'enfants au 19e siècle, un modèle éducatif utopique ?
Sylvie JEANNERET — Éducation et enfance dans les œuvres de Victor Hugo et Jules Michelet
Guillaume DROUET — Les Misérables, dans les pas du petit ramoneur
Anne CHASSAGNOL — Les pérégrinations d'un petit ramoneur : Charles Kingsley et la société victorienne
Charlotte MICHAUX — Les errances de l'enfant-fée, réécritures poétiques de la figure du changelin
III. Errance et quête identitaire
Daniel LARANGÉ — Sans Famille d'Hector Malot et la figure de l’enfant pèlerin. Lecture mythocritique
Gabrielle MELISON-HIRCHWALD — Itinéraires d’enfants gâtés chez Charles Dickens et Alphonse Daudet
Stéphane ARTHUR — Enfance et errance dans le théâtre à l’époque romantique : de l’errance du personnage à l’errance de l’écriture dramaturgique ?
Sébastien BAUDOIN — L’enfance de Chateaubriand ou les itinéraires d’une errance intérieure
Robert KAHN — Apprendre l’errance : Enfance berlinoise vers 1900
IV. L’errance et la loi
Isabelle HERVOUET-FARRAR — Modalités de l’errance dans Little Dorrit, de Charles Dickens
Max VEGA-RITTER — L’errance de l’enfance et la loi chez Olivier dans Oliver Twist (1836), Gavroche dans Les Misérables (1862), et Mowgli dans Le Livre de la jungle (1894)
Yves CLAVARON — Une Inde en enfance : errance picaresque et utopie coloniale dans Kim de Kipling
René ALLADAYE — The Adventures of Huckleberry Finn : histoire d’une errance entre Amérique et vieux continent
V. Errance, entropie, déstructuration
Catherine DOUSTEYSSIER-KHOZE — Enfance, errance et subversion fin-de-siècle dans La Marquise de Sade de Rachilde (1887)
Jeremy WORTH — « Battant toujours la même mesure » : répétitions, retours et errance infantile arrêtée chez Zola
Philip HADLOCK — Qu’est-ce qu’un enfant ? Enfance, subjectivité et récit chez Guy de Maupassant
Thierry POYET — Le refus de l’enfance chez Flaubert : errance et âge adulte