Depuis une trentaine d'années, et singulièrement depuis la
publication des Ruines de Paris en 1977, l'oeuvre de Jacques
Réda réinvente, assumant l'héritage baudelairien, la figure du
poète flâneur. Banlieues, faubourgs et terrains vagues sont,
explicitement, ses lieux de séjour comme de traversée.
Il convient toutefois de bien mesurer les motivations, les
enjeux, comme les formes, pris par cet en marche. C'est qu'en
dépit de son bien-fondé, l'image quelque peu dérisoire du
«poète à Solex» - telle que la critique aime à l'évoquer - se
révèle insuffisante à dire l'ambition de cette flânerie. Elle ne
saurait notamment prendre en charge la dimension auto-réflexive,
profondément soucieuse d'elle-même, authentiquement
curieuse des autres, d'une écriture à la palette étonnante.
De circonstance assurément, le poème rédien n'en oublie pas
pour autant de penser. Prenant appui sur un désastre intime
originaire, que vient corroborer un monde en ruines travaillé
par le désarroi des hommes, la déréliction des oeuvres, la
déshérence de la nature, il oeuvre, dans le plus entier paradoxe,
à bâtir le lieu d'une habitation heureuse. De fait, selon la
formule célèbre reprise par Heidegger à Hölderlin, et riche de
toutes les oeuvres poétiques dont il se nourrit, le poème rédien
fait, expressément, habiter...