Je vous survole, je file entre vos pieds, je respire sous l'eau, je vous coupe le souffle. En moi, vous reconnaissez la merveille. Vous respectez aussi le mystère, comme s'il existait, de votre « je » au mien, une frontière que vous n'osez franchir. Par prudence, par réflexe, par philosophie, vous restez à distance de moi. À quoi bon ? Vous pouvez m'approcher. Que je sois moineau, fourmi, requin, orque, primate, je partage avec vous l'éclat vital, improbable et vertigineux, de la conscience. Quiconque a vécu auprès d'un animal connaît ce grand secret, que la science permet aujourd'hui de clamer haut et fort : nous, animaux, sommes des gens aussi. Conscients, pensants, précieux. Concevons alors un monde où, après des siècles d'hésitations, l'humanité des animaux est enfin reconnue. D'empire humain, la planète peut devenir ce territoire immense où se croisent et se rencontrent des myriades d'intelligences, de personnes, de familles, de peuples. Dans des milliards de têtes multiformes, au fil d'existences d'un jour, de dix ans ou de deux siècles, quelque chose dit « je » : je est un animal.