Il y a comme une évidence dans la façon dont Jean Renoir
fait du cinéma. Comme s'il avait toujours partagé ce mystère
premier d'un art qui enregistre la vie même, son mouvement
et ses bruits en y apportant une inestimable plus-value. Comme
si la justesse naturelle de sa mise en scène lui permettait de
jouer de tous les artifices du septième art, y compris les plus
énormes. Le Patron, tel est le surnom que lui donneront
les cinéastes de la Nouvelle Vague. Ils reconnaissent en lui
le cinéma français qu'ils ont envie de continuer à l'encontre
de celui, académique, de la «Qualité française». Cette plénitude
vient sans doute en partie de l'influence du sens aigu de
la lumière et des couleurs de son père Pierre Auguste. Une
exceptionnelle variété de registres constitue sa filmographie,
de l'expérimentation tous azimuts des années vingt (Nana,
La Petite Marchande d'allumettes), l'engouement pour le Front
populaire dans les années trente (La vie est à nous,
La Marseillaise), le départ aux États-Unis dans les années
quarante (L'Homme du Sud, La Femme sur la plage), le choc
de l'Inde (Le Fleuve) avant son retour en Europe (Le Carrosse
d'or, French Cancan). Michel Simon reste à jamais l'inoubliable
Boudu et Jean Gabin, cheminot pris dans les rêts de son violent
désir amoureux, le Lantier de La Bête humaine. Jacques Prévert
signe l'un de ses meilleurs scénarios avec Le Crime de monsieur
Lange. La Grande Illusion et La Règle du jeu sont les deux films
qui révèlent le plus subtilement la société française dans
ses rigidités et ses faiblesses à la veille de la Seconde Guerre
mondiale.