La question de l'identité de William Shakespeare hante le monde littéraire depuis bientôt deux cents ans, au cours desquels cette oeuvre immense a été attribuée à plus d'une cinquantaine d'Anglais dont Francis Bacon, Edouard de Vere ou Marlowe... Lui donner, sans autre discussion, la paternité d'un « génie » petit-bourgeois de province originaire de Stratford-upon-Avon, réfractaire aux langues étrangères, entrepreneur de spectacles joués à Londres, ne fait donc pas vraiment l'unanimité...
Par une démonstration-enquête méthodique et érudite, Lamberto Tassinari dévoile que John Florio était Shakespeare. Fils d'un émigré italien, Michel Angelo Florio, juif converti, prédicateur franciscain puis calviniste, John Florio naquit à Londres onze ans avant le Shakespeare officiel... John, lexicographe, auteur de dictionnaires, polyglotte, traducteur de Montaigne puis de Boccace, précepteur à la cour de Jacques Ier, employé à l'ambassade de France ne cessa de jouer les « passeurs » culturels.
Produire l'oeuvre de Shakespeare supposait d'immenses ressources matérielles, telles que la possession d'une riche bibliothèque, circonstance à l'époque rarissime, mais aussi la connaissance de langues étrangères (au premier rang desquelles l'italien), des voyages en Europe continentale, la fréquentation de la cour et de la noblesse. Et que dire de cette intimité passionnée avec la musique, avec l'Écriture sainte, et de cette connaissance précise des humanistes de la Renaissance continentale (Dante, l'Arétin, Giordano Bruno pour l'Italie, Montaigne chez nous) ?
La Tempête exprime de façon poignante, quoique cryptée, la plainte de l'exilé, la perte du premier langage, sa consolation par la fantasmagorie et les méandres douloureux du rapport générationnel... Les tourments de l'exil hantent les Sonnets : sont-ils vraiment de la plume d'un homme voyageant pour ses affaires de Stratford à Londres, et qui ne sortit jamais de son île ?
On a souvent remarqué l'étrangeté de la langue de Shakespeare sans jamais faire l'hypothèse qu'il pourrait être étranger...
Au fil des pages les indices s'accumulent... On découvre « Shakespeare » rendu à sa richesse et à sa complexité nées du polylinguisme et des souffrances de l'exil.
Et s'il était juif et italien... mais, comme le dit de lui-même Florio, toujours « anglais de coeur » ?