Mon journal devrait témoigner de mon amour. J'y consignerais seulement les choses que j'aime, mon affection pour n'importe quel aspect du monde, ce que j'aime à penser. Mes aspirations ne sont guère plus nettes ou précises que celles d'un bourgeon, lequel tend certes vers la fleur et le fruit, vers l'été et l'automne, tout en ayant seulement conscience de la chaleur du soleil et de l'influence du printemps. Je me sens mûr pour quelque chose, et pourtant ne fais rien, car je suis incapable de découvrir ce qu'est cette chose. Je me sens simplement fertile. Pour moi le moment est venu d'ensemencer. Trop longtemps je suis resté en jachère.
Homme de lettres et philosophe non conformiste, mais aussi naturaliste précurseur de l'écologie, Henry D. Thoreau a régulièrement consigné ses pensées et ses notes de terrain dans un journal de 7 000 pages entre 1837 et 1861. Fragmentaire par essence, cette oeuvre brosse le portrait de l'auteur et dessine son système de pensée. Dans un souci de pertinence et d'homogénéité, Michel Granger a opéré une sélection qui s'efforce de privilégier les bonnes pages de « l'ermite de Walden ». Au fil des jours, l'écriture révèle une figure plus complexe, plus originale et plus authentique de cet autre Thoreau qui dialogue avec lui-même. Drôle dans le regard qu'il porte sur ses concitoyens, intransigeant dans ses choix éthiques,
il offre à notre époque des remarques pleines d'actualité.