«Dans l'existence, tous les moments doivent être posés à la
fois», écrit Kierkegaard dans son Post-scriptum aux miettes
philosophiques. L'accès au réel de l'être en sa subjectivité
kaléidoscopique se fera donc dans l'éclatement du temps
linéaire qui est indifférent à nos désirs tout en donnant sa
structure à notre existence et à ce roman, fresque critique de
notre époque sous tous ses aspects. «Ecrire, c'est faire exploser
l'instant présent, le relier à tous les temps de la vie et de la
grammaire (la vie s'exprime par la grammaire, non ?).» Nous
nous apercevons alors de l'absolue ubiquité de notre esprit dans
la durée.
Mallarmé se proposait de rémunérer grâce au vers «le
défaut des langues». La narratrice de ces «moments posés à la
fois» élargit ce souci au défaut du temps, au défaut des sociétés,
au défaut du réel, au défaut du reptile en somme, dont le paysan,
au dernier acte de la pièce de Shakespeare, confiait à Cléopâtre
que, vraiment, il n'y avait en lui pas de bonté. Ecrire, c'est sans
doute rémunérer cet irréductible défaut de bonté qui mine
l'humaine condition, et la vie quotidienne.
«Ecrire, c'est imaginer les autres.» A partir d'une
inscription aperçue au bord de la route, l'auteur de cet ouvrage
imagine la relation naissante d'Isabelle et de Jérôme, car
l'amour fournit un fil conducteur à ces récits qui s'entremêlent :
«L'amour, c'est le défaut du temps, rémunéré.»