L’étude des correspondances d’écrivains s’est considérablement développée ces dernières années. L’un des sujets qui intéressent particulièrement nos contemporains est de savoir quel rôle exact joue l’écriture d’une correspondance dans la formation littéraire d’un écrivain et dans la lente élaboration de son œuvre. Le présent livre tente de proposer le plus grand nombre de réponses à cette question, s’agissant du cas de Marcel Proust. Il s’appuie notamment sur l’art poétique épistolaire que l’auteur de la Recherche a déposé, au jour le jour et sans y songer, dans des lettres écrites sur une période de quarante années, et dont les deux tiers sont contemporaines de l’élaboration de son cycle romanesque. L’écriture épistolaire, la réception et l’envoi de lettres, la matérialité même des correspondances, suscitent, à tout instant quoique incidemment sous sa plume, de riches réflexions qui nuancent toujours davantage le rôle joué par la constitution de ce monument totalement improvisé, en regard du monument minutieusement construit de la Recherche. Pourquoi le visage et le style de Proust épistolier sont-ils si différents de ceux, mieux connus de nous, de Proust romancier ? Et comment une correspondance, écrite sans lui prêter aucune valeur littéraire, a-t-elle pu malgré tout former le laboratoire de lœuvre en chantier ? C’est à ces deux questions déconcertantes que l’enquête ici menée tente principalement d’apporter des éléments de réponse. Proust aurait-il autorisé la publication de toutes ces lettres ? Là aussi, l’examen de la correspondance permet de proposer une réponse précise, justifiant pleinement l’immense entreprise de l’Américain Philip Kolb, qui en soixante années de travail ininterrompu, a publié plus de cinq mille lettres de l’écrivain, occupant vingt et un volumes et couvrant plus de dix mille pages. Le dernier chapitre s’appuie sur un témoignage totalement inédit, le seul dont on puisse disposer, dans lequel l’éditeur des lettres retrace l’aventure de cette édition, aventure commencée vers 1930. On voit apparaître, dans cette rétrospective, l’entourage familial et littéraire de Proust, que Philip Kolb a pu à l’époque encore approcher, les circonstances très diverses qui ont permis de retrouver tant de lettres a priori dispersées, et l’on saisit ainsi sur le vif dans son déroulement la postérité si particulière réservée à une correspondance d’écrivain.