Cette étude se propose de mettre à jour les pulsions démocratiques qui animent l'imaginaire social aristocratique à l'aube des Lumières. La cour et la ville s'opposent moins comme des sites topographiques et sociaux distincts que comme des configurations idéales, véhiculant leur langage, leur imaginaire et leurs modèles de subjectivité.
La cour, système clos, microcosme discipliné et rituel figé, est pour La Bruyère et La Rochefoucauld la fabrique du caractère ; elle reparaîtra, dans l'imaginaire libertin du siècle suivant, comme un lieu de dérision et de nostalgie, comme l'expression d'une volonté de puissance qui aboutit à l'anéantissement du moi.
La ville, d'autre part, est le théâtre de toutes les métamorphoses associées à la culture de la modernité, de l'économie commerciale, de l'inquiétude, du désir, et de l'influence féminine, que les moralistes dénoncent parce qu'elle brouille les distinctions et les hiérarchies. De Madeleine de Scudéry à Anne-Thérèse de Lambert, de Montesquieu à Rousseau, et de Marivaux à Crébillon, la ville encourage l'épanouissement de l'urbanité, synonyme de galanterie et de politesse, instance d'un logos civil qui permet aux individus de se façonner et de se réinventer.