Eva, une « sans-ami » sur les réseaux sociaux, André, salarié « restructuré » après trente ans passés dans l’industrie chimique, Louis, sans emploi, cherchant à prouver sa « bonne volonté » à l’aide sociale, Nadia, jeune femme infibulée confrontée au système médical suisse... Comment ces personnes vivent-elles ces vies sous contrainte ? Que font-elles face aux dispositifs institutionnels ou aux liens sociaux qui les privent d’une partie de leur liberté d’être ou de faire ce qu’elles souhaitent ? Les situations de domination ordinaire sont peu visibles dans l’espace public suisse. Nos recherches permettent de montrer que, bien loin d’être silencieux et passifs, les « dominés » mettent en place des moyens d’agir originaux. Ainsi en est-il des personnes séropositives usant du secret pour échapper à l’opprobre, des étrangers négociant et détournant les noms dont on les affuble ou encore des femmes dépendantes économiquement gagnant par un travail empathique auprès de leur mari des plages d’autonomie personnelle. Même sous contrainte, ils agissent et s’aménagent des marges de manoeuvre. Ces figures de l’action sous domination ou de dominaction, comme nous les avons appelées, représentent ainsi une énigme aujourd’hui, dans un monde où les formes de pouvoir sont de plus en plus désincarnées et où la distribution de la considération sociale, de la réputation ou de la reconnaissance constitue un enjeu central de nos sociétés.