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Un professeur opportunément désœuvré, par un après-midi d’octobre, se retrouve au Musée des Beaux-Arts - Visiteur de hasard ? Tour à tour narrateur et personnage, il nous entraîne dans les salles, les recoins, les émois de chacune de ses visites antérieures. Et le musée fonctionne comme en écho : installé dans les murs d’un ancien palais ducal, lui aussi en a vu d’autres, et donne à sa manière une leçon à notre professeur ; chaque salle, chaque toile devient évocatrice du temps, d’autres temps, rappelle qu’elle fut témoin, un témoin d’autant plus implacable qu’il est silencieux. Et les choses ne se répètent-elles pas ? Cet étudiant vaguement barbu qui prend des notes, cette jeune fille en imperméable couleur de muraille, ne ressemblent-ils pas curieusement à des souvenirs décalés ? Ne viennent-ils pas suggérer au visiteur : « Le roman d’amour se fait vieux » ? Par cet après-midi de grisaille, où le temps est un reflet d’automnes indistincts, voici que nombre de toiles se mettent à regarder notre professeur, à le montrer du doigt. Et ainsi le musée se révèle « le lieu où toutes les amours passées trouvent à l’avance leur justification et le répertoire de leurs formes, désignées dans le miroitement indéfini, la prolifération des lignes, des flambées chromatiques, des irrécusables violences du monde » Comme dans « La musique et l’hiver » (Balland, 1985), Jean Libis illustre ici le thème de l’art comme miroir du monde, où l’individu se repère, bien peu différencié, mais se retrouve au bord d’une cassure, d’un précipice, en grand danger de se perdre. Qu’importent alors les péripéties : le lieu à maints égards clos où il nous transporte, protégé mais reflet du monde est une clef offerte au lecteur, une clef ouvragée et polie ; tour à tour elle nous plaque au sol en une prise imparable, nous rappelle que nous ne sommes qu’une petite pierre de la voûte immobile, mais qu’elle peut ouvrir, si nous le voulons, les portes que nous croyions verrouillées. À cet égard, roman sur le roman, sur celui qu’un auteur toujours porte en soi, « La dormeuse d’ombres » est une étape, un instant privilégié dans le cheminement d’une réflexion acerbe, parfois désabusée, toujours lucide et tendre, que Jean Libis invite à partager. Jean-Michel Lecomte