«Nous allons vous rendre le pire des services, nous allons vous
priver d'ennemi !» avait prédit en 1989 Arbatov, conseiller diplomatique
de Gorbatchev. L'ennemi soviétique avait toutes les qualités d'un
«bon» ennemi : solide, constant, cohérent. Sa disparition a en effet
entamé la cohésion de l'Occident et rendu plus vaine sa puissance.
L'ennemi est-il une nécessité ? Il est très utile en tout cas pour
souder une nation, asseoir sa puissance et occuper son secteur
militaro-industriel. C'est pourquoi les États, les services de
renseignements, les think tanks stratégiques et autres faiseurs
d'opinion «fabriquent» consciencieusement de l'ennemi, qu'il soit
rival planétaire (Chine), ennemi proche (Inde-Pakistan), ennemi
intime (Rwanda), Mal absolu, ennemi conceptuel ou médiatique.
Certains ennemis sont bien réels, d'autres, cependant, analysés
avec le recul du temps, se révèlent étonnamment artificiels.
Conséquence : si l'ennemi est une construction, pour le vaincre, il
faut non pas le battre, mais le déconstruire. Il s'agit moins au final
d'une affaire militaire que d'une question politique.