«Des perspectives tout à fait nouvelles me sont apparues dernièrement sur
le "temps" au sens historique», écrit Georg Simmel à Heinrich Rickert le
13 décembre 1915. «S'il me reste assez de temps et de force pour les suivre
jusqu'au bout, j'espère mettre en lumière quelques aspects fondamentaux restés
obscurs et que la théorie de l'histoire, si je ne m'abuse, a jusqu'à présent laissés
de côté. Mais qui peut aujourd'hui présumer de son avenir ?»
Georg Simmel n'aura pas le temps en effet d'achever ce «tout nouveau livre»
auquel aurait donné lieu la réécriture de ses Problèmes de la philosophie de l'histoire,
son grand ouvrage paru d'abord en 1892 et sur la nouvelle édition duquel
il travailla entre 1905 et 1907. Mais les trois essais parus entre 1916 et 1918 dessinent
les contours d'une pensée renouvelée du temps et de l'histoire, qui porte
la marque du «tournant vitaliste» dû à l'influence de Bergson autour des années
1910.
La liberté avec laquelle Simmel remet en jeu ses propres élaborations théoriques,
ses propres synthèses antérieures, trouve une fois de plus dans l'essai une forme
particulièrement adéquate. Dans le style à la fois souple et rigoureux qui est le
sien, Simmel ouvre ici des débats qui sont loin d'être clos, qu'il s'agisse du concept
d'événement ou de celui de mémoire, de la discontinuité et des «blancs» de
la chronologie historique ou de l'anachronisme, de la valeur de l'intuition et de
l'empathie ou de la nature du document historique - en somme, de la question
de savoir «comment les faits réels viennent former l'image scientifique que nous
appelons histoire», et «combien de transformations, d'omissions et d'additions
il faut apporter à la vie réelle, pour que cette image puisse se former».